Legal Consultancy & Litigation
International Business and Private

Loi applicable au contrat de travail international et les sanctions du travail dissimulé

Cass.,crim, 11 mars 2014 n°11-88420 Sté EasyJet Airline Company ; n°12-81461, Sté Vueling Airlines

Le contrat de travail est dit international lorsque la nationalité de l’une des deux parties n’est pas française ou le lieu d’exécution du travail est à l’étranger.

Le règlement (CE) du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (« Rome I ») s’est substitué à la Convention de Rome du 19 juin 1980 pour les contrats conclus à compter du 17 décembre 2009 et détermine la loi applicable aux contrats de travail à caractère international.

Selon ce règlement, les parties d’un contrat de travail peuvent choisir la loi qui le régira en totalité ou partie et le changement de choix de la loi applicable peut survenir à tout moment, avec l’accord de toutes les parties. Toutefois, cette liberté de choix de la loi applicable des parties d’un contrat de travail est limitée, et ce choix ne peut avoir pour effet de priver le salarié de la protection résultant des dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui serait applicable à défaut de choix (« dispositions impératives ») (art. 8, al. 1 du règlement).

Le règlement Rome I précise par ailleurs qu’à défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel où, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Le pays dans lequel le travail est habituellement accompli n’est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays (art. 8, al. 2).

Ainsi, la loi choisie par les parties du contrat de travail ne peut priver le salarié de la protection minimale que lui assurent les dispositions impératives de la loi du pays dans lequel le salarié accomplit habituellement son travail.

S’agissant de la notion des dispositions impératives du droit du travail français auxquelles il ne peut être dérogé par accord, elle a été précisée par la jurisprudence de la Cour de cassation et de la juridiction du fond : le dispositif régissant le licenciement et plus généralement à la rupture d’un contrat de travail (CA Paris, 6 octobre 1999 Steinman c/ Société générale) ; le dispositif relatif à la rupture des contrats à durée déterminée (Soc. 12 mars 2008 n°01-44654, M. X c/ sté Sportive IL Gabbiano) ; le dispositif relatif à la durée de la période d’essai (Soc. 26 mars 2013 n° 11-25580, M. X c/ Cityjet Ltd) ; le dispositif relatif aux heures supplémentaires (CA Colmar, 7 février 2013 SAS Crit Interim c/ M. Eddib), le dispositif relatif à la déclaration d’embauche, au paiement des cotisations sociales et au travail dissimulé (CA Lyon, 28 mai 2013 Miny c/ SA Jet Cruising). Ces dispositions impératives du droit du travail français s’appliquent même si le contrat de travail précise être soumis au droit du travail d’un autre pays lorsqu’elles sont plus favorables au salarié.

La notion de lieu d’exercice habituel du travail a été précisée par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour de cassation, comme étant le lieu où le salarié a établi le centre effectif de ses activités professionnelles. La Cour de justice a précisé que pour la détermination concrète de ce lieu, il convient de tenir compte de la circonstance que le travailleur a exercé la majeure partie de ses activités professionnelles dans un Etat contractant et qu’il possède dans cet Etat contractant un bureau à partir duquel il a organisé son travail pour le compte de son employeur et où il est revenu après chaque déplacement professionnel à l’étranger (aff. C-383/95 Petrus Wilhelmus Rutten c/ Cross Medical Ltd, 9 janvier 1997, para. 25). Ce critère est appliqué par les juges français.

S’agissant des travailleurs détachés temporairement en France qui sont liés à l’entreprise établie hors de France et sont soumis au régime de travail en vigueur dans le pays d’origine, l’article L 1262-4 du Code de travail impose aux employeurs de respecter les dispositions du droit français dans les domaines suivants : libertés individuelles et collectives dans la relation de travail ; non-discrimination et égalité professionnelle entre femmes et hommes ; protection de la maternité, congés de maternité et de paternité ; conditions de mise à disposition et garanties dues aux salariés par les entreprises exerçant une activité de travail temporaire ; exercice du droit de grève ; durée du travail, repos compensateurs, jours fériés, congés annuels payés, durée du travail et travail de nuit des jeunes travailleurs ; conditions d’assujettissement aux caisses de congés et intempéries ; salaire minimum et paiement du salaire ; règles relatives à la santé et sécurité au travail, âge d’admission au travail, emploi des enfants ; travail illégal.

Par ailleurs, afin de lutter contre les montages frauduleux, l’article L 1262-3 dispose qu’un employeur ne peut se prévaloir des dispositions applicables au détachement de salariés lorsque son activité est entièrement orientée vers le territoire national ou lorsqu’elle est réalisée dans des locaux ou avec des infrastructures situées sur le territoire national à partir desquels elle est exercée de façon habituelle, stable et continue.

Pour les entreprises de transport aérien, l’article R330-2-1 du Code de l’aviation civile issu du décret du 21 novembre 2006 dispose que l’’article L. 342-4 (L 1262-3 actuel) du code du travail est applicable aux entreprises de transport aérien au titre de leurs bases d’exploitation situées sur le territoire français et précise qu’« une base d’exploitation est un ensemble de locaux ou d’infrastructures à partir desquels une entreprise exerce de façon stable, habituelle et continue une activité de transport aérien avec des salariés qui y ont le centre effectif de leur activité professionnelle. Au sens des dispositions qui précèdent, le centre de l’activité professionnelle d’un salarié est le lieu où, de façon habituelle, il travaille ou celui où il prend son service et retourne après l’accomplissement de sa mission ».

En l’espèce, les compagnies aériennes EasyJet et Vueling, sociétés de droit anglais et de droit espagnol respectivement ont été renvoyées devant le tribunal correctionnel pour avoir employé plus de centaines de salariés navigants, commerciaux et techniques, majoritairement français et résidant en France, sous le statut de salariés détachés et sans les affilier régulièrement à un régime de sécurité sociale français. Elles ont été toutes les deux condamnées pour le délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité. La cour d’appel de Paris a confirmé le jugement du tribunal correctionnel par arrêts du 8 novembre 2011 (pour EasyJet) et du 31 janvier 2012 (pour Vueling), les condamnant à 100.000 euros d’amende et prononçant sur les intérêts civils.

Les prévenues ont formé un pourvoi en soutenant qu’elles n’avaient pas commis le délit de travail dissimulé en n’affiliant pas leurs salariés aux organismes de sécurité sociale français parce qu’ils sont des travailleurs détachés relevant du régime de sécurité sociale de son pays d’origine, en l’occurrence le Royaume-Unis et l’Espagne. Par deux arrêts du 11 mars 2014, la Cour de cassation a rejeté les pourvois, en relevant que ces sociétés ne peuvent se prévaloir des dispositions applicables au détachement de salariés dès lors que leur activité était entièrement orientée vers le territoire national et réalisée de façon habituelle, stable et continue dans des locaux ou avec des infrastructures situées sur ce territoire et que leurs salariés avaient en France le centre effectif de leur activité professionnelle à partir duquel ils s’acquittaient de l’essentiel de leurs obligations à l’égard de leurs employeurs.

Plus d'actualités