La compétence pour diriger une entreprise n’a pas de genre – Entretien avec Virginie Calmels
En France, l’égalité des salaires et retraites est surveillée par le gouvernement, et la loi Cope-Zimmermann a instauré la parité dans le Conseil d’administration afin de briser le plafond de verre et de faire évoluer la culture d’entreprises et les stéréotypes.
Toutefois, plusieurs grandes entreprises ont adopté depuis longtemps un système de nomination axé sur le mérite, sans considération de genre ou d’âge des dirigeants.
Nous avons rencontré Madame Virginie Calmels, « Margaret Thatcher à la française », qui a occupé successivement, avant ses trente ans, des postes à responsabilités dans le monde des médias français. Après avoir mené avec succès des opérations de restructuration de plusieurs sociétés, elle est actuellement la première adjointe au maire de Bordeaux auprès d’Alain Juppé, ancien Premier ministre. Nous l’avons interrogée sur la manière dont elle est parvenue au succès si jeune ainsi que sur sa vision sur l’économie et la gestion publique françaises.
Née à Bordeaux en 1971, Virginie Calmels a étudié à École supérieure de commerce de Toulouse. Après l’obtention de son diplôme, elle rejoint le cabinet d’audit financier Salustro Reidel, et obtient les diplômes d’expertise comptable. En 1998, elle est débauchée par un de ses clients, NC Numericable, en qualité de directrice financière. Puis elle rejoint Canal+, où elle occupe le poste de directrice financière. En 2000, elle devient directrice générale adjointe puis, deux ans plus tard à l’âge de 31 ans, codirectrice générale déléguée de la chaîne, avec la mission de diriger des gros plans sociaux de l’entreprise après la fusion de cette dernière avec Vivendi.
En 2003, elle rejoint Endemol France, la plus grosse société de production audiovisuelle de l’Hexagone, en tant que directrice générale, devenant une des personnages de premier plan dans les médias. En 2007, elle devient présidente-directrice générale d’Endemol France, qui produit des programmes populaires de TF1, tels que Miss France ou Star Academy.
Elle occupe également plusieurs postes non exécutifs : administratrice d’Iliad (société-mère de Free), de Technicolor, ainsi que membre puis présidente (depuis 2013) du Conseil de surveillance d’Eurodisney.
En 2012, elle est promue à la direction générale d’Endemol Monde mais après un an, elle quitte le groupe Endemol, crée sa propre société SHOWer Company et s’installe dans sa ville natale, Bordeaux. À la suite des élections municipales de 2014, elle est élue conseillère municipale aux côtés d’Alain Juppé, puis nommée première adjointe chargée de l’économie, de l’emploi et de la croissance durable. En 2015, elle est investie tête de liste de la droite et du centre à l’occasion des élections régionales dans la région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes de décembre 2015. Elle est élue Vice-Présidente de Bordeaux Métropole et Conseillère régionale (Présidente du groupe d’opposition).
Elle est mère de deux enfants.
* Cet entretien a été réalisé en mars 2016.
Akiko Nagasawa : Est-ce par opposition à la ligne de conduite du gouvernement socialiste que vous vous êtes lancée dans la politique au côté d’Alain Juppé en quittant la fonction de présidente d’Endemol France et de directrice d’Endemol Monde en 2013?
Virginie Calmels : J’ai avant tout quitté mes mandats chez Endemol parce qu’après dix ans passés à diriger ce groupe, je ressentais le besoin d’un changement d’horizon.
En politique comme dans le privé, il ne faut pas négliger l’importance de l’usure : le changement est alors autant bénéfique à l’entreprise qu’au dirigeant.
Je l’ai surtout fait parce que j’avais envie d’une aventure entrepreneuriale; j’ai créé une société à Bordeaux et je préparais un LBO dans les medias avec les investisseurs anglo-saxons.
Très peu de temps après, j’ai eu la chance d’être invitée par Alain Juppé à le rejoindre à Bordeaux en vue des élections municipales de 2014. Cet engagement politique, s’il répondait à un souhait ancien chez moi de servir l’intérêt général, a certainement été renforcé par la politique économique désastreuse menée par le gouvernement socialiste. Je me suis alors dit qu’en tant que dirigeante d’entreprise, j’avais une expérience, un regard neuf à apporter à la vie publique.
AN : Dans les derniers sondages, Alain Juppé ressort gagnant de la primaire des Républicains de cette année. Quels postes ministériels souhaiteriez-vous occuper s’il remportait l’élection présidentielle de 2017 ?
VC : La campagne d’Alain Juppé ne fait que commencer ! Les sondages ne font pas une élection et le temps n’est pas venu de se poser ce genre d’interrogations :). Aujourd’hui, je suis heureuse d’exercer pleinement à Bordeaux les mandats pour lesquels les citoyens m’ont élue, et d’accomplir les missions qu’Alain Juppé m’y a confiées.
Je n’ai enfin pas de plan de carrière prédéfini. J’essaie de faire au mieux les tâches qu’on me confiait, et puis à un certain moment saisir des opportunités. La vie est faite d’opportunités à saisir, que l’on manquerait à force de vouloir tout prévoir.
AN : Selon vous, quels sont les freins à la compétitivité économique de la France ?
VC : Outre le poids de notre fiscalité, certains éléments constituent actuellement des freins à la puissance économique de la France. La complexité de notre droit du travail qui dissuade les entreprises de recruter et l’inefficacité de notre système de formation professionnelle, ont pour conséquence un taux de chômage structurel trop élevé.
Notre industrie n’est pas assez capitalistique et souffre d’un vrai défaut d’investissement, notamment en ce qui concerne la robotisation.
Enfin, pour véritablement soutenir les petites et moyennes entreprises et industries, qui sont le moteur de l’innovation et de la croissance, il faut alléger les charges et assouplir les normes.
Il n’y a là aucune fatalité, et ces différents facteurs peuvent être améliorés : il faut seulement le courage de réformer.
AN : Que reprochez-vous aux politiques économiques et sociales menées par le gouvernement socialiste actuel ?
VC : Le gouvernement a une vision économique archaïque et dirigiste.
Ce Gouvernement, pour donner sans doute une impression d’activité, procède ainsi par accumulation de normes, qui constituent autant de complexités supplémentaires pour les entreprises, et de freins à leur activité.
La réforme du droit de la consommation ou la création du Compte personnel de prévention de la pénibilité ont instauré de véritables usines à gaz administratives au détriment des facteurs de production. Il faut pourtant faire preuve d’humilité car ce n’est pas l’État qui crée les emplois, mais les entreprises ; l’État devrait remettre l’administration au service des entreprises.
AN : Selon vous, pourquoi la dette publique française ne s’arrête-t-elle pas de progresser ?
VC : Beaucoup de politiques ont eu trop souvent tendance à considérer que l’argent public est une ressource d’autant plus facile qu’elle leur semble inépuisable. De nombreux politiques ont ainsi tendance à assimiler le pouvoir à la capacité à toujours plus dépenser. Dans l’entreprise, c’est l’inverse : on cherche avant tout à limiter les charges, à faire mieux avec moins.
Il n’est dès lors pas surprenant que la dette publique progresse aussi vite : prendre des décisions difficiles au moment présent sans hypothéquer l’avenir requiert un courage qui n’est malheureusement pas courant. Les Français et les entreprises en France paient déjà beaucoup trop d’impôts !
AN : De quelle manière pensez-vous pouvoir mettre vos compétences acquises dans le secteur privé au service du public ?
VC : Dans le privé, on fait mieux avec moins : c’est une culture que je souhaite importer dans la sphère publique.
Par exemple, en se défaussant sur le principe du « moins disant », les marchés publics sont souvent peu ou mal négociés, or il est possible de réaliser des économies significatives en ce domaine.
Par ailleurs, je constate que l’administration souffre de l’absence de méthodes managériales et de gestion. En ayant vraiment la main sur l’administration, il serait possible au politique d’améliorer l’efficacité de l’action publique en favorisant un fonctionnement en mode projet. La mise en œuvre de nouvelles méthodes de ressources humaines, fondées sur le bien-être au travail et l’épanouissement professionnel, deux sujets dont on ne se préoccupe que rarement dans la fonction publique, permettrait d’alléger le poids de la dépense publique.
Depuis 2013, Bordeaux est devenue progressivement non seulement la capitale mondiale du vin, mais aussi une métropole économique dynamique et ouverte sur le monde. Ainsi, comme le souligne notre labellisation FrenchTech en 2014, nous sommes en passe de devenir une véritable capitale de l’économie numérique, accueillant de nombreuses start-ups et entreprises innovantes dans un environnement très business friendly.
AN : Comment êtes-vous parvenue au succès si jeune ? Quelles sont les qualités que doit posséder une femme pour diriger une grande entreprise ?
VC : J’ai eu la chance de rencontrer des personnes qui m’ont fait confiance. J’ai mené trois plans sociaux de grandes entreprises avant mes trente ans. Quand on vous attribue des responsabilités, notamment très jeune, cela vous donne envie d’être à la hauteur, en vous dépassant et en œuvrant d’arrache-pied.
Mon travail, mon investissement, ma fiabilité et ma loyauté ont sans doute permis cet accord de confiance.
Après, l’opportunité de la vie a également joué un rôle dans mon évolution. À l’époque, Canal+ a connu de nombreux changements de direction qui m’ont peut-être fait grimper les échelons plus vite que d’autres, en étant promue chaque année.
Les qualités que doit posséder une femme pour diriger une grande entreprise sont les mêmes que pour un homme : l’audace, la rigueur, le sens des affaires, le respect absolu de la responsabilité fiduciaire, la capacité à diriger et à manager des équipes, le courage.
AN : Enfin, comment occupez-vous vos week-ends ?
VC : J’aime jouer à la wii ou au Lego ou du piano avec mes enfants. Je fais aussi mes courses au marché des Chartrons ou chez les commerçants du quartier Saint-Seurin.