La force de conviction dans le rêve européen – Entretien avec Pervenche Berès

Interview de Pervenche Berès, femme politique et ancienne députée européenne.

En Europe, de nombreuses femmes attirées par le « Rêve européen » et ses valeurs de paix, de protection des droits de l’Homme, la promotion de l’éducation et du développement durable ont choisi une carrière politique en lien avec les affaires européennes.
Voulant tirer les leçons de la crise économique et financière de ces dernières années, l’Union européenne tente de compléter les lacunes de sa gouvernance économique et de renforcer la coordination des politiques économiques et budgétaires des États membres. Les défenseurs de l’Union plaident pour qu’elle devienne une entité construite autour de la solidarité entre ses membres et la confiance mutuelle. Pour notre quatrième article, nous avons rencontré Madame Pervenche Berès, députée européenne engagée dans les affaires économiques et sociales de l’Union européenne depuis plus de vingt ans et qui travaille activement à la mise en œuvre de cette nouvelle gouvernance.

 

Pervenche Berès, femme politique, ancienne députée européenne

Née à Neuilly-sur-Seine, au sein d’une famille d’intellectuels, Pervenche Berès est la fille de Pierre Berès, libraire et éditeur parisien de renommé . Au terme de son adolescence marquée par les affaires internationales mouvementées des années soixante-dix, – guerre du Vietnam, coup d’État au Chili,…-, elle entame des études de sciences politiques à l’IEP de Paris. Après l’obtention de son diplôme, elle entre à l’Assemblée nationale et, un an plus tard, adhère au Parti socialiste. Elle devient conseillère de Laurent Fabius, alors président de l’Assemblée nationale, et prend ses marques au sein du Parti.

Elue députée lors des élections européennes de 1994, Pervenche Berès, dont la carrière politique est en pleine ascension, est victime d’un grave accident de la route à Paris l’année suivante ; roulant en scooter, elle est percutée par une voiture de police banalisée. Le traumatisme crânien dont elle souffre la plonge trois jours dans le coma et lui fait perdre l’odorat et le goût ainsi que la voix pendant plusieurs semaines. Elle subit de nombreuses opérations pour soigner les blessures de son visage.
Cette épreuve ne l’empêche pas de poursuivre son chemin et de toujours affirmer ses convictions politiques et européennes. Trois mois après le drame, elle se rend à un meeting du Parti en disant : « Il n’y a pas de raison que je me terre dans mon coin. »

Pendant les vingt années suivantes, Pervenche Berès, passionnée, engagée, experte en affaires européennes, animée par la volonté de faire gagner l’Europe travaille sans relâche

et devient une personnalité incontournable du Parlement et des milieux européens. Présidente de la Délégation socialiste française en 1997, de la Commission des affaires économiques et monétaires en 2004, de la Commission de l’emploi et des affaires sociales en 2009, elle est de tous les combats pour faire avancer l’Union et résoudre la crise économique sociale de l’Union depuis la crise des subprimes et la crise grecque. Auteure d’une proposition de résolution sur la réforme du cadre de gouvernance économique du Parlement européen, votée en 2015.
Elle est mère de deux fils âgés de 26 ans et de 28 ans.

* Cet entretien a été réalisé en décembre 2015.

Akiko Nagasawa : Comment vous êtes-vous remise du traumatisme psychologique que vous avez subi lors de votre accident il y a vingt ans ?

Pervenche Berès : Par la résilience. Je pense que les épreuves que nous rencontrons dans notre vie doivent être surmontées. Ce type d’événement révèle les êtres, les oblige à mobiliser leur capacité de résilience. Je m’en suis sortie en puisant dans ma capacité, mon énergie et mon engagement.
Cet accident ne m’a jamais fait dévier de la trajectoire que j’avais choisie. Mes convictions sont toujours restées intactes, car elles étaient profondément ancrées. Comme pour beaucoup j’imagine, elles se sont forgées dans le contexte international qui a marqué mon adolescence. Je suis, depuis cette période, fortement engagée à la fois à gauche et sur le plan international.

L’entourage compte, mais c’est vous-même qui décidez si un drame de la vie vous condamne ou non. Tant que vous vous mobiliserez pour vaincre votre traumatisme, les autres seront à vos côtés dans cet effort.

Il est vrai qu’en 1999, certains membres de la direction du Parti ont hésité à ce que je sois en deuxième position sur la liste nationale pour les élections européennes à cause de mon visage marqué par l’accident. Mais il faut croire que d’autres arguments l’ont heureusement emporté (sourire).

 

AN : L’égalité entre hommes et femmes est un des principes fondamentaux de l’Union européenne. Pouvez-vous nous parler de la mixité au sein de l’Union ?

PB : Au Parlement européen, les femmes représentent 37 % des députés.

En France, depuis la loi sur votée en 2000, la parité a été introduite dans les élections au scrutin proportionnel et la mixité est désormais un principe constitutionnel. Actuellement, les femmes représentent 46 % des députés français au Parlement européen ; la parité est donc presque complète.

Dans l’Union européenne, le projet d’une directive imposant 40 % de femmes dans les conseils d’administration des grandes sociétés a été adopté en 2013 par une large majorité

des membres du Parlement, mais reste bloqué par le Conseil, en raison notamment de l’opposition de plusieurs États membres ; sa décision est pour le moment immuable.
Je pense que la présence des femmes au sein des conseils d’administration peut apporter une contribution bénéfique au fonctionnement des entreprises, et notamment une approche plus raisonnable dans le milieu financier, caractérisé par les opérations spéculatives et risquées qui ont été à l’origine de la crise économique mondiale. C’est l’un des enjeux de la gouvernance d’entreprises.

AN : Avez-vous rencontré des difficultés dans votre carrière politique de par votre statut de femme ?

PB : J’ai eu la chance de commencer ma carrière politique à un moment où, justement, la question de la place des femmes a été considérée comme importante. Sous l’initiative du Président Mitterrand, de nombreuses femmes ont été nommées aux plus hautes fonctions.
Le Parti socialiste appliquait volontairement de la parité dans les listes électorales avant la loi de 2000 et c’est lors des élections européennes de 1994 que Michel Rocard avait promis de présenter les candidats hommes et femmes en alternance sur la liste pour les élections européennes. Le fait d’être une femme n’a pas constitué un obstacle dans mon parcours, mais je suis bien consciente que je dois ma première investiture sur la liste pour les élections européennes au fait d’être une femme.

L’une des difficultés rencontrée par les femmes est la conciliation vie professionnelle/vie familiale. En ce qui me concerne, je n’ai jamais imaginé ma vie sans une complète autonomie. C’est avec cette perception que j’ai construit mon chemin.

Au cours de ma carrière, j’ai fait comme toutes les femmes ; j’ai jonglé, tâché de faire au mieux et parfois, bien sûr, culpabilisé. Mais je pense que, pour mes enfants, voir leur mère engagée et épanouie dans ses activités a été plus bénéfique que de la sentir frustrée de s’occuper uniquement de la sphère domestique.

Ils ont grandi sans difficulté particulière. Ils sont tous deux devenus des adultes très respectueux de l’autonomie de leur compagne, et j’espère avoir contribué à leur inculquer une certaine image de la place de la femme dans la société.

AN : Selon vous, quelle est la cause de la situation économique actuelle de la zone euro ?

PB : La carence d’une véritable Union économique et monétaire européennev. Avant la crise, les politiques économiques et budgétaires de l’Union étaient décidées essentiellement au niveau national. Les États membres n’étaient pas tenus à la lettre de débattre d’une stratégie collective pour l’économie de l’Union. Les membres de la zone euro n’avaient pas non plus d’obligation vraiment supplémentaire, si ce n’est celle de maintenir de manière nominale l’équilibre de leurs finances publiques.

La crise économique mondiale, puis la crise grecque et la crise des dettes souverainesvi, ont démontré la faiblesse de « l’Union économique et monétairevii ». On a créé une monnaie unique mais les États membres ont continué de fixer chacun, leur propre politique économique. Un pays qui gère mal ses finances publiques peut placer l’ensemble de l’économie de la zone euro dans une situation de crise. Mais surtout, la politique budgétaire menée par un pays a un impact sur l’économie de l’ensemble de la zone..

C’est pourquoi, depuis 2011, l’Union a introduit plusieurs mécanismes de surveillance des politiques économiques et budgétaires des États membres. Mais, afin de résoudre les problèmes fondamentaux et d’éviter que l’Europe soit à nouveau fragilisée si survient une autre crise, il est nécessaire d’approfondir et de compléter l’Union économique et monétaire.

AN : Pouvez-vous nous expliquer la réforme actuelle de la gouvernance économique de l’Union européenne ?

PB : Il comporte de nombreuses dimensions. Ainsi, dans la zone euro, chaque État membre adopte ses propres pratiques en ce qui concerne la formation des salaires. Dans certains d’entre eux, les décisions prises déséquilibrent l’ensemble et ralentissent la croissance.
Pour pallier ces problèmes, il est envisagé d’instaurer une autorité indépendante au sein de chaque État membre, dont la mission sera de surveiller la situation économique et le niveau et les conditions de formation des salaires. Des mesures visant à réduire les déséquilibres économiques seront prises au niveau de l’Union en fonction des rapports remis par ces autorités indépendantes.
Autre proposition: après l’explosion de la crise de la dette souveraine et du lien qu’elle a révélé entre les banques et la dette des États membres, nous avons introduit une surveillance unitaire des banques nationales par la Banque centrale européenneviii afin d’éviter des opérations à risque. Ce système doit être complété par un système unique de garantie des dépôts pour protéger l’épargne de tous les Européens lors de la prochaine crise économique.

AN : En France, l’extrême droite est arrivée en tête lors des dernières élections européennes et, en Allemagne, le parti Alternative pour l’Allemagne a obtenu de nombreux sièges à l’Assemblée. L’Union européenne, quant à elle, doit faire face à une éventuelle sortie du Royaume-Uni. Pensez-vous que l’approfondissement de l’Union tel qu’il est proposé actuellement soit possible ?

PB : Il faut bien sûr combattre le populisme. Mais s’interdire de penser et de mettre en place la réforme de l’Union économique et monétaire parce qu’il existe des voix populistes, c’est donner raison à ces dernières avant même de les avoir combattues.

Je pense que l’une des raisons de leur progression est justement que l’on s’est mal occupé de l’Union économique et monétaire. On l’a laissée inachevée, et son système originel bancal ne nous a pas permis de gérer les conséquences de la crise économique et financière mondiale aussi efficacement que nous aurions pu le faire si nous n’étions pas resté au milieu gué.

Il est donc urgent de la corriger et de la redresser pour qu’elle produise les effets que les citoyens sont en droit d’attendre d’elle et de l’Euro.
La sortie des Britanniques de l’Union en cas de victoire de l’eurosceptismeix lors du prochain référendum aurait des conséquences bien plus graves qu’aurait eue la sortie de la Grèce de la zone euro : la valeur ajoutée du Royaume-Uni dans les domaines diplomatique et militaire de l’Union est indéniable.

Nous ne pouvons et ne devons pas accéder à toutes les demandes de Monsieur Cameron, mais je souhaite que les négociations avec Londres portent leurs fruits, car le maintien du Royaume-Uni est important pour l’intégrité de l’Union.

AN : Enfin, quels sont vos morceaux de musique préférés ?

PB : Je pourrais citer par exemple Janis Joplin et sa chanson Mercedes Benz.