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Covid-19: Payability of commercial rents – evolution of case law 2020-2022 (article in French)

Cass.civ. 3, 30 juin 2022, n°21-20.127 (La société Odalys résidences SAS c. M. et Mme I), n°21-20.190 (La société Action France SAS c. La société Foncière Saint-Louis SCI), n°21-19.889 (La société la Bourse de l'immobilier SAS c. La société Lafran SCI)

En application des dispositions de l’article 4 de l’Ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 (une des 25 Ordonnances adoptée pour faire face à l’épidémie de Covid-19), les bailleurs des locaux commerciaux avait interdiction de poursuivre leurs locataires en situation d’impayés des loyers en exécution de la clause résolutoire, en raison du défaut de paiement de loyers et charges locatives.

Cette disposition s’appliquait aux loyers ou charges échues entre le 12 mars 2020 et « l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire » (article 4 de l’Ordonnance n°2020-316).

Pendant cette période, et contrairement à ce que le Président Macron avait promis dans son allocution du 16 mars 2021, les locataires n’étaient nullement en droit de suspendre ou de s’exonérer du paiement des loyers et charges. L’Ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 a simplement reporté l’effet de l’impayé des loyers en interdisant aux bailleurs de procéder aux mesures d’expulsion.

Toutefois, beaucoup de locataires ont suspendu le paiement des loyers pendant la période de fermeture des commerces du 17 mars au 11 mai 2020, et contesté le paiement des loyers du deuxième trimestre 2020 après le déconfinement. C’est ainsi que, à partir de l’expiration de la période protégée au 10 septembre 2020, de nombreuses procédures ont été introduites par les bailleurs devant les tribunaux judiciaires.

Il est rappelé que les tribunaux judiciaires ont la compétence exclusive des actions relatives aux baux commerciaux (article R 211-4 du Code de l’organisation judiciaire).
Dans le cas d’impayés des loyers, les bailleurs peuvent demander, soit le paiement des loyers dus, soit la résiliation du bail et l’expulsion des locataires.

Les bailleurs souhaitant obtenir une provision au titre des loyers impayés assignent leurs locataires devant le président du tribunal judiciaire (représentation par avocat obligatoire) par procédure de référé (dite « référé-provision »).

Pour que les bailleurs puissent demander la résiliation du bail et l’expulsion des locataires par la procédure de référé, il faut que le bail contienne une clause résolutoire prévoyant qu’en cas d’impayé des loyers par le preneur, le bail soit automatiquement résilié (clause résolutoire). Dans un tel cas, le bailleur fait signifier (par voie d’huissier) dans un premier temps un commandement de payer au locataire. Si le locataire ne régularise pas la situation dans un délai d’un mois à compter de la signification du commandement, le bailleur lui fait signifier dans un second temps une assignation de référé devant le président du tribunal judiciaire, en demande de constat d’acquisition de la clause résolutoire et d’expulsion du locataire.

Si le bail ne contient pas la clause résolutoire, le bailleur doit assigner le locataire devant le tribunal judiciaire en demande de résolution judiciaire du bail commercial. Dans un tel cas, la résiliation du bail n’est pas automatique et est laissée à l’appréciation souveraine du juge du fond.

Dans des contentieux engagés par des bailleurs à compter de septembre 2020, les locataires se sont opposés au paiement des loyers dus pendant la période du premier confinement, sur divers fondements juridiques et il existait la divergence de jurisprudence des juges du fond dans l’attente de la consécration de la jurisprudence par la Cour de cassation.

La Cour de cassation a finalement harmonisé la jurisprudence dans trois arrêts du 30 juin 2022.

I. Les fondements juridiques des demandes des locataires et la jurisprudence des juges du fond

1) Force majeure

La force majeure est définie à l’article 1218 du Code civil : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. » Elle permet au débiteur de s’exonérer de l’exécution des obligations nées du contrat tant qu’elle fait obstacle à cette exécution.

Selon la jurisprudence établie de la Cour de cassation, le débiteur d’une obligation de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de ce cette obligation en invoquant un cas de force majeure (Cour de cassation, chambre commerciale, 16 septembre 2014, n° de pourvoi 13-20306). En effet, l’obligation de payer une somme d’argent est exécutable, même si un événement extérieur la rend difficile pour le débiteur.

C’est ainsi que les tribunaux ont systématiquement écarté l’argument des locataires invoquant la force majeure pour s’opposer au paiement des loyers pendant la période de fermeture administrative imposée par le Gouvernement, car il s’agit d’une obligation de somme d’argent.

• Tribunal judiciaire de Montpellier, 10 septembre 2020 (20/30974)
• Tribunal judiciaire de Paris (référé), 26 octobre 2020 (20/53713 et 20/55901)
• Cour d’appel de Grenoble, 5 novembre 2020 (16/04533) – la Cour a relevé que le locataire (une résidence de tourisme) ne démontrait pas l’existence de difficultés de trésorerie ayant rendu impossible le paiement des loyers.
• Cour d’appel de Lyon (référé), 31 mars 2021, 20/05237
• Cour d’appel de Paris, 12 mai 2021
• Cour d’appel de Paris, 3 juin 2021 (21/01679) – la Cour a relevé que le locataire ne démontrait pas qu’il était dans l’impossibilité de payer son loyer.

2) Exception d’inexécution

Le bailleur est tenu d’une obligation de délivrer au preneur la chose louée et, d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée, d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail et d’assurer également la permanence et la qualité des plantations (article 1719 du Code civil).

L’exception d’inexécution est régie à l’article 1219 du Code civil : « Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. »

Sur le fondement de ce texte, plusieurs locataires se sont opposés au paiement des loyers pendant la première période de confinement, en invoquant que les bailleurs ont manqué à son obligation de délivrance des locaux loués de l’article 1719 du Code civil, dès lors que les locataires ne pouvaient pas exploiter les locaux pendant la fermeture administrative imposée par le Gouvernement.

Cet argument a été écarté par les tribunaux dans la majorité des cas, aux motifs que le bailleur n’avait pas manqué à ses obligations contractuelles, parce qu’il n’avait pas mis obstacle à la jouissance des lieux, ou que l’impossibilité pour le bailleur d’exécuter son obligation de délivrance était imputable à la décision gouvernementale de fermeture des établissements (« fait du prince »).
Les juges considèrent que le contexte sanitaire ne saurait en lui-même générer un manquement par le bailleur à son obligation de délivrance du bien loué.

• Tribunal judiciaire de Paris (référé), 26 octobre 2020 (20/53713 et 20/55901)
• Cour d’appel de Grenoble, 5 novembre 2020 (16/04533)
• Tribunal judiciaire de Strasbourg (référé), 19 février 2021
• Tribunal judiciaire de Paris, 25 février 2021 (18/02353)
• Tribunal judiciaire de La Rochelle, 23 mars 2021(20/024)
• Cour d’appel de Lyon (référé), 31 mars 2021, 20/05237

3) Perte du local loué

Aux termes de l’article 1722 du Code civil, « Si pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité ou en partie par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit. Si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander soit une diminution du prix, soit la résiliation du bail ».

Plusieurs locataires ont invoqué cette disposition pour s’opposer au paiement des loyers pour la période du 16 mars au 11 mai 2020, et certains tribunaux ont fait droit à leur demande, en considérant que la perte de la chose louée est établie lorsque le locataire est dans l’impossibilité de l’utiliser en raison des fermetures gouvernementales (tribunal judiciaire de Paris (Juge d’exécution), 20 janvier 2021 (20/80923), cour d’appel de Versailles (référé), 4 mars 2021, tribunal judiciaire de La Rochelle, 23 mars 2021, n°20/024).

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la perte de la chose louée ne s’entend pas seulement au sens d’une perte matérielle (Cour de cassation, chambre civile 3, du 30 octobre 2007, 07-11.939 : la perte de la chose louée peut résulter de l’arrêté administratif de fermeture d’un centre commercial). Toutefois, la question de savoir si l’impossibilité pour les locataires d’utiliser les locaux loués en raison des fermetures gouvernementales constitue la « perte de la chose louée » fait l’objet de divergences de la jurisprudence des juges du fonds.

La doctrine est favorable à l’application de la notion de la perte de la chose louée de l’article 1722 du Code civil dans la mesure où les décrets Covid du premier confinement interdisait l’accès du public aux locaux commerciaux, de sorte que les locataires ne pouvaient pas exploiter les locaux loués pendant cette période (Jean-Denis Barbier, « Loyers commerciaux et covid : l’attente de la consécration du droit », Dalloz, 14 avril 2021).

Plusieurs tribunaux ont refusé de dispenser des loyers sur le fondement de la perte de la chose louée, au motif que les loyers sont dus en l’absence de faute du bailleur (cour d’appel de Paris, 18 mars 2021 (20/13262), ou que les dispositions de l’article 1722 ne sont pas applicables dans le cas où le bien loué n’est pas détruit définitivement (cour d’appel de Versailles, 6 mai 2021, 19/08848 ; tribunal judiciaire de Strasbourg (référé), 19 février 2021 ; cour d’appel de Lyon (référé), 31 mars 2021, 20/05237). La cour d’appel de Paris a également écarté l’application de l’article 1722 du Code civil pour infirmer le jugement précité du 20 janvier 2021 rendu par le juge de l’exécution.

4) Bonne foi dans l’exécution du contrat

« Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi » (article 1104 du Code civil). Sur le fondement de ce texte, plusieurs locataires se sont prévalus d’un manquement du bailleur à son obligation de bonne foi de renégocier les modalités d’exécution du contrat dans un contexte de crise sanitaire.

Dans un communiqué de presse du 15 juillet 2020 sur un jugement du 10 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Paris a indiqué que « les contrats devant être exécutés de bonne foi selon l’article 1134 devenu 1104 du code civil, les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives. »

Les juges analysent la bonne foi des parties dans l’exécution du contrat au cas par cas, pour faire droit à la demande du bailleur ou au contraire la refuser.

• Tribunal judiciaire de Strasbourg (référé), 19 février 2021 – condamné un locataire (Printemps) à payer une provision au titre des loyers dus, en relevant que le bailleur lui avait proposé de reporter les loyers dus de la période du premier confinement.

• Tribunal judiciaire de Paris (référé), 21 janvier 2021 – dit n’y avoir lieu à référé sur la demande du bailleur en constat de l’acquisition de la clause résolutoire et en expulsion, en relevant que le locataire a témoigné de sa bonne foi en ayant réglé 50% des loyers dus au troisième trimestre 2020, et que l’action du bailleur se heurtait à une contestation sérieuse dès lors qu’elle entre dans le champ d’application de l’article 14 de la loi 2020-1379 du 14 novembre 2020.

II. Consécration de la jurisprudence par la Cour de cassation

La troisième chambre de la Cour de cassation a mis fin à la divergence de la jurisprudence par ses trois arrêts du 30 juin 2022 :

Pourvoi n°21-20.127 (La société Odalys résidences SAS c. M. et Mme I)
Pourvoi n°21-20.190 (La société Action France SAS c. La société Foncière Saint-Louis SCI)
Pourvoi n°21-19.889 (La société la Bourse de l’immobilier SAS c. La société Lafran SCI)

Dans ces trois arrêts, la Cour de cassation a considéré que la fermeture administrative des commerces non essentiels dans le cadrer de la crise sanitaire n’étaient pas imputable au bailleur et donc que ce dernier n’a pas manqué à son obligation de délivrance (n°21-20.127 et n°21-20.190).

Selon la Cour, l’interdiction de recevoir du public, décidée aux seules fins de garantir la santé publique, n’a pas de lien direct avec la destination contractuelle du local loué, et ne peut donc être assimilé à la perte de la chose louée au sens de l’article 1722 du Code civil (n°21-20.127, n°21-20.190 et n°21-19.889).

La Cour a également écarté l’argument tenant de la force majeure au motif que le locataire, débiteur de l’obligation de payer les loyers n’est pas fondé à invoquer à son profit la force majeure parce qu’il n’était pas dans l’impossibilité d’exécuter son obligation (n°21-20.190).

Enfin, l’argument du locataire tiré de l’article 1104 du Code civil (bonne foi dans l’exécution du contrat) est également écarté par la Cour de cassation (n°21-20.190).