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Notion de l’authenticité d’une oeuvre d’art et conditions d’annulation pour erreur sur les qualités substantielles

Cass. Civ., 1er, 20 octobre 2011, n° 10-25980, Pinault c/ Derouineau

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi des époux Pinault contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 septembre 2010 dans l’affaire de la table en marqueterie Boulle.

Le contentieux d’annulation de la vente des œuvres d’art est lié à la notion clé de l’authenticité de l’œuvre. Lors de toute mise aux enchères d’une œuvre d’art ou d’un meuble, l’authenticité demeure le critère majeur pour la fixation de la valeur d’un bien par le commissaire-priseur.

La notion de l’authenticité n’a pas de définition générale mais est abordée de façon parcellaire par des textes réglementaires sectoriels, des pratiques professionnelles et la jurisprudence.

Le décret du 3 mars 1981 sur la répression des fraudes en matière de transactions d’œuvres d’art et d’objets de collection en donne quelques références. Ainsi Par exemple, « La dénomination d’une œuvre ou d’un objet, lorsqu’elle est uniquement et immédiatement suivie de la référence à une période historique, un siècle ou une époque, garantit l’acheteur que cette œuvre ou objet a été effectivement produit au cours de la période de référence » (art. 2). « A moins qu’elle ne soit accompagnée d’une réserve expresse sur l’authenticité, l’indication qu’une œuvre ou un objet porte la signature ou l’estampille d’un artiste entraîne la garantie que l’artiste mentionné en est effectivement l’auteur » (art. 3). « L’emploi du terme “attribué à” suivi d’un nom d’artiste garantit que l’œuvre ou l’objet a été exécuté pendant la période de production de l’artiste mentionné et que des présomptions sérieuses désignent celui-ci comme l’auteur vraisemblable » (art. 4). « L’emploi des termes “atelier de” suivis d’un nom d’artiste garantit que l’œuvre a été exécutée dans l’atelier du maître cité ou sous sa direction » (art. 5).

En règle générale, le commissaire-priseur qui procède à l’expertise et l’estimation des œuvres d’art n’a pas d’obligation de délivrer un certificat d’authenticité. En revanche, s’il établit un certificat d’authenticité ou des catalogues de ventes publiques d’œuvres d’art qui accompagnent la présentation des œuvres mises en vente, sa responsabilité peut-être engagée en cas d’erreur.

Aux termes de l’article 1110 du Code civil, « l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet ». L’erreur sur la substance s’entend non seulement de celle qui porte sur la matière même dont la chose est composée, mais aussi et plus généralement de celle qui a trait à la qualité substantielle, c’est-à-dire la qualité qui a déterminé le consentement de l’une des parties, de telle sorte que celle-ci ne se serait pas engagée si elle avait su que cette qualité n’existait pas. Pour faire annuler la vente pour erreur sur la substance, l’acheteur doit donc démontrer que l’erreur qu’il allègue porte sur une qualité substantielle de la chose et que cette qualité est entrée dans le champ contractuel.

S’il existe un doute sur la qualité convenue, on peut inclure ce doute dans le champ contractuel. Dans ce cas, les parties acceptent l’existence d’un aléa. C’est ainsi qu’en suivant l’article 5 du décret du 3 mars 1981, quand une peinture est présentée comme « attribuée à » Renoir, la vente est considérée comme aléatoire et l’acheteur ne peut pas demander son annulation s’il s’avère que la peinture n’est pas une œuvre authentique du maître.

Lorsqu’un meuble ancien est restauré voire très restauré au fil du temps à l’aide de certaines pièces fabriquées à l’époque postérieure, ces restaurations font-elles perdre au meuble son authenticité ? Si le catalogue de vente mentionne seulement la période de référence avec un avertissement sur l’existence de restaurations sans informer qu’une ou plusieurs parties de l’objet sont de fabrication postérieure, un acquéreur peut-il annuler la vente pour erreur sur la qualité substantielle ?

Le 14 décembre 2001 lors d’une vente aux enchères publiques à Drouot, une table qui était présentée sous les mentions suivantes : « une table à écrire en marqueterie Boulle et placage ébène. Elle s’ouvre à deux tiroirs sur les côtés et repose sue des pieds fuselés. Riche ornementation de bronze ciselé et doré à décor masques rayonnants, rosaces, frises de fleurs et de feuilles, sabots feuillagés. Estampillée C. J. Dufour et J.M.E., époque Louis XVI (accidents et restaurations) » et estimée entre 60000 FF et 80000 FF a été adjugée aux époux Pinault pour la somme de 1 204,347,20 euros (7 900 000 FF), soit près de cent fois sa valeur estimée.

Après vérification par démontage du meuble effectuée par un ébéniste, les acquéreurs, qui ont découvert que les quatre pieds avaient été refaits au XIXe siècle, que le plateau et le chant des tiroirs avaient été replaqués à la même époque et que certains bronzes ainsi que le cuir dataient également du XIXe siècle, ont refusé d’en payer le prix et obtenu du juge des référés le désignation d’un expert et, en se fondant d’un rapport d’expertise du 15 juillet 2003, ont demandé l’annulation de la vente pour erreur sur les qualités substantielles ou vice caché, et recherché la responsabilité du vendeur, la Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques, de l’organisateur de la vente, la société Daguerre, du commissaire-priseur, Monsieur Renaud et de l’expert, Monsieur Derouineau devant le Tribunal de grande instance de Paris.

Par un jugement du 13 octobre 2005, le Tribunal a débouté les époux Pinault de leurs demandes, en considérant que de tells restaurations intervenues au XIXe siècle n’avaient pas pour autant porté atteinte à l’authenticité du meuble.

Le 12 juin 2007, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement du Tribunal, en considérant que malgré les restaurations et réparations postérieures, le meuble doit être considéré comme étant de l’époque Louis XVI, n’ayant pas été reconstitué au XIXe siècle mais seulement réparé pour en consolider les parties les plus faibles sans que ces interventions remettent en cause son authenticité. Dès lors, le libellé du catalogue, en mentionnant que le meuble est d’époque Louis XVI, qu’il est signé de Dufour et qu’il a subi des « accidents » et des « restaurations », était conforme à la réalité et qu’il ne pouvait constituer une source de nullité de la vente pour erreur sur les qualités substantielles du meuble.

Or, cet arrêt a été cassé par la Cour de cassation par un arrêt du 30 octobre 2008 pour violation de l’article 2 du décret du 3 mars 1981 et de l’article 1110 du Code civil. Selon la Haute juridiction, aux termes de l’article 2 du décret du 3 mars 1981, la dénomination d’un objet suivie de la référence à une époque garantit l’acheteur que cet objet a été effectivement produit au cours de la période de référence, et lorsqu’une ou plusieurs parties de l’objet sont de fabrication postérieure, l’acquéreur doit en être informé. La Cour a estimé que la table avait été non seulement restaurée mais été « transformée » au XIXe siècle à l’aide de certaines pièces fabriqués à cette époque, de sorte que les mentions du catalogue par leur insuffisance, n’étaient pas conforme à la réalité et avaient entraîné la conviction erronée et excusable des acquéreurs que bien que réparé et accidenté, ce meuble n’avait subi aucune transformation depuis l’époque Louis VI de référence. L’affaire est renvoyée à la cour d’appel de Paris autrement composée.

Statuant sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Paris a, par un arrêt du 21 septembre 2010, confirmé le jugement contrairement à la position de la Cour de cassation.

D’abord, la cour d’appel procède à une interprétation différente de l’article 2 du décret du 3 mars 1981 de celle de la Cour de cassation. Selon cet article, la dénomination d’une œuvre d’art ou d’un objet, lorsqu’elle est uniquement et immédiatement suivie de la référence à une période historique, un siècle ou une époque, garantit l’acheteur que cette œuvre ou cet objet a été effectivement produit au cours de la période de référence. En l’espèce, la mention époque Louis XVI était suivie d’un avertissement destiné à attirer l’attention d’éventuels acquéreurs sur l’existence d’accidents et de restaurations (qui ne pouvaient être plus amplement décrits, le commissaire-priseur et l’expert de la vente n’étant pas autorisés à démonter le meuble). La dénomination de l’œuvre et la référence à la période historique portées au catalogue sont donc exactes.

Au regard de l’article 1110 du Code civil, la cour d’appel a considéré que « les acquéreurs ne démontraient aucunement qu’ils ont consenti à la vente en considération de la seule intégrité matérielle de la table prise en son entier, mais se sont décidés à l’acquérir en raison de la qualité et de l’authenticité de la marqueterie, du renom de ses auteurs, André-Charles Boulle et Charles Joseph Dufour et de l’origine du meuble qui provenait de la collection de la baronne Salomone de Rothchild. Dans ces conditions, ils n’étaient pas fondés à exciper d’une prétendue erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue ».

Les acquéreurs, qui ont été condamnés à payer au vendeur le prix de vente majoré des intérêts au taux légal à compter de la date d’adjudication, se sont pourvus en cassation.

Par arrêt du 20 octobre 2011, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, en considérant que les constatations et appréciations souveraines des juges du fond suffisaient à justifier légalement la décision.

 

 

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