Rupture de relations commerciales établies – le cas où la rupture sans préavis est autorisée
L’article L 442-6, I, 5° sanctionne la rupture brutale qui intervient « sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ». Cet article ajoute que « lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n’était pas fourni sous marque de distributeur ».
Pour apprécier le caractère suffisant du préavis, le texte renvoie à deux éléments : (i) à la durée de la relation commerciale et (ii) à la durée minimale déterminée par des accords interprofessionnels en référence aux usages du commerce.
S’agissant du deuxième critère, «la durée minimale déterminée par des accords interprofessionnels », actuellement, seuls trois d’accords interprofessionnels ont été conclus pour fixer la durée minimale de préavis : les domaines du bricolage, de l’automobile et de l’imprimerie. En présence d’accords fixant le délai du préavis, le juge peut estimer suffisant le respect du délai ainsi déterminé, mais cette durée ne constituant qu’un minimum, elle ne dispense pas les juges de rechercher le caractère suffisant de ce préavis.
Qu’il existe ou non un accord interprofessionnel fixant la durée minimale du préavis, l’appréciation du caractère suffisant de celui-ci doit être appréciée au regard de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture (Cass. com., 6 nov. 2012, n° 11-24570 ; Cass. com., 11 sept. 2012, n° 11-14.620).
Les différentes circonstances prises en compte par la jurisprudence sont les suivantes :
• La dépendance économique du distributeur vis-à-vis du fournisseur en raison de la part importante de son chiffre d’affaires avec son partenaire (Cass. com., 2 déc. 2008, n° 08-10.732 ; Cour d’appel d’Orléans, 16 septembre 2010, JurisData n° 2010-029431) ,
• L’existence d’un accord d’exclusivité entre les parties (Cour d’appel de Douai, 29 septembre 2005);
• L’importance financière de la relation commerciale (Cass. com., 7 juillet 2004, n° 03-11.472) ;
• Les investissements réalisés dans le cadre de la relation (Cass. com., 7 janvier 2004, n° 02-12.437)
• Le temps nécessaire pour trouver d’autres clients (Cour d’appel de Paris, 3 février 2010, JurisData n° 2010-004324) ou un partenaire de substitution (Cour d’appel d’Orléans, 31 mars 2011, JurisData n° 2011-006954) ou les possibilités de reconversion (Cour d’appel de Versailles, 2 décembre 2004, JurisData n° 2004-267459) ;
• La prévisibilité de la rupture en raison de la diminution des relations au cours des derniers mois (Cour d’appel de Paris, 19 mai 2010, JurisData n° 2010-012312) ou de la difficulté à trouver des accords au cours des dernières années (Cass. com., 11 sept. 2012, n° 11-14.620).
Par ailleurs, même si le préavis a une durée suffisante, il faut que l’exécution du contrat soit maintenue aux conditions antérieures pendant toute la durée du préavis. Par exemple, la réduction des quantités commandées pendant le préavis caractérise une rupture brutale partielle des relations commerciales peut être qualifiée de rupture brutale de relations commerciales (Cass. com., 16 décembre 2014, n° 13-21.363, Ikea Supply c. Green Sofa Dunkerque ; Cass. com., 10 novembre 2009, n°08-18337 Carrefour c. Legal Le Goût). Si le contrat de distribution prévoit une exclusivité territoriale, cette exclusivité territoriale doit être maintenue pendant la durée de préavis pour permettre au distributeur de se réorganiser (Cass. com., 10 févr. 2015, n° 13-26.414).
Toutefois, l’article L 442-6, I, 5° du Code de commerce autorise la rupture sans préavis « en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ». C’est le cas par exemple du défaut de paiement des marchandises par le distributeur.
En l’espèce, un fabricant de chaussures de luxe, la société CHRISTIAN LOUBOUTIN a notifié à son distributeur, la société ROSENSTEIN CHAUSSEUR INC, de la fin de la collaboration, avec un préavis de 19 mois en raison des retards récurrents par la société ROSENSTEIN CHAUSSEUR INC dans le paiement des marchandises. Ce préavis n’a cependant pas pu être exécuté en l’état du défaut de règlement de la société ROSENSTEIN CHAUSSEUR INC entraînant l’annulation des nouvelles commandes. La société ROSENSTEIN CHAUSSEUR INC a assigné la société CHRISTIAN LOUBOUTIN en demandes indemnitaires fondées sur la rupture brutale des relations commerciales établies de l’article L 442-6, I, 5° du Code de commerce.
Le Tribunal de commerce de Paris a, par un jugement du 21 février 2013, débouté la société ROSENSTEIN CHAUSSEUR INC de ses demandes et l’a condamnée à payer à la société CHRISTIAN LOUBOUTIN la somme de 19 394,02 euros et celle de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, estimant que le défaut de paiement des factures par la société ROSENSTEIN CHAUSSEUR INC avait habilité la société CHRISTIAN LOUBOUTIN à interrompre les relations commerciales sans préavis et à refuser de livrer les commandes passées.
La société ROSENSTEIN CHAUSSEUR INC a interjeté appel contre ce jugement. Le 2 septembre 2015, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement de la première instance considérant que la rupture des relations commerciales en cours de préavis était imputable à la société ROSENSTEIN CHAUSSEUR INC qui avait violé une de ses obligations essentielles, à savoir le paiement de factures émises par la société CHRISTIAN LOUBOUTIN, et a condamné la société ROSENSTEIN CHAUSSEUR INC à payer à la société CHRISTIAN LOUBOUTIN la somme de 9.394,02 euro et celle de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.