Sanction du tiers complice de la violation d’un réseau de distribution sélective
Aux termes de l’article 1 du Règlement 330/2010/UE du 20 avril 2010 relatif aux accords verticaux, le système de distribution sélective est défini comme un système de distribution « dans lequel le fournisseur s’engage à ne vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, qu’à des distributeurs sélectionnés sur la base de critères définis, et dans lequel ces distributeurs s’engagent à ne pas vendre ces biens ou services à des distributeurs non agréés dans le territoire réservé par le fournisseur pour l’opération de ce système ».
Le contrat de distribution sélective emporte une exclusivité de fourniture dans la mesure où le fournisseur s’engage à ne vendre ses produits qu’aux distributeurs qui satisfont les critères qu’il a définis. A la différence des distributeurs exclusifs qui bénéficient d’une exclusivité de revente des produits contractuels dans un territoire déterminé, les distributeurs sélectifs ne sont pas tenus d’une exclusivité d’approvisionnement et peuvent vendre les biens ou services des concurrents.
Pour être licite au regard du droit de la concurrence, la sélection des distributeurs doit se faire selon des critères objectifs et appliquée sans discrimination. Les restrictions de concurrence doivent être proportionnées à l’objective poursuivi. Par exemple, les critères doivent être nécessaires à la bonne commercialisation des produits ou tenir à la compétence ou à l’aptitude personnelle du distributeur pour garantir la vente de produits dans de bonnes conditions. Par exemple, une clause exigeant que les ventes de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle soient effectuées “dans un espace physique en présence obligatoire d’un pharmacien diplômé”, ayant pour conséquence l’interdiction de l’utilisation d’internet pour ces ventes, a été considérée comme une restriction par objet au sens de l’article 101 § 1 TFUE (affaire Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, Com. 24 septembre 2013 n° 12-14344 ; CJCE, 13 octobre 2011 aff. C 439/09).
L’interdiction des ventes à des distributeurs non sélectionnés est considérée comme inhérente à la distribution sélective et le contrat de distribution sélective comporte normalement une clause d’interdiction de revente hors réseau, afin de rendre le réseau étanche. Le titulaire du réseau peut ainsi maîtriser l’unité de la politique et de l’identité de son réseau sur son territoire stratégique.
Toutefois, selon la jurisprudence actuelle, en application du principe de l’effet relatif du contrat, les obligations contractuelles créées par un contrat de distribution sélective ne sont pas opposables au tiers et la revente hors réseau est en principe licite. En effet, la Cour de cassation énonce, depuis les arrêts du 13 décembre 1988 (Lanvin c. Rocadis Centre Leclerc n°87-15527, Axel Courrèges c. Goguet n°87-16098 ; Christian Dior c. Rocadis Centre Leclerc n°87-15523 et 87-16105), que le fait de commercialiser des produits relevant d’un réseau de distribution sélective ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale, dès lors que l’irrégularité de leur acquisition n’est pas établie.
Ainsi selon la Cour de cassation, pour engager la responsabilité de revendeurs hors réseau des produits relevant d’un réseau de distribution sélective, le promoteur du réseau doit prouver une faute distincte d’une simple revente hors réseau de ces revendeurs. C’est le cas par exemple lorsque le tiers revendeur achète les marchandises dans des conditions irrégulières ou illicite ou lorsqu’il revend des produits normalement vendus sur un réseau de distribution sélective dans des conditions portant atteinte à l’image de marque de produits. Dans ces hypothèses, le titulaire du réseau peut agir contre les tiers revendeurs sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
A ce titre, la Cour de cassation a précisé que le refus du revendeur parallèle d’indiquer la provenance des marchandises peut caractériser l’irrégularité ou l’illicéité de leur approvisionnement (Com., 27 octobre 1992 Azzaro c. Pin Ups, n°90-15831), mais le revendeur n’a pas à prouver l’origine régulière des approvisionnements de son fournisseur (Com., 22 octobre 2013 Motoworld c. PC Moto, n°12-22281).
Lorsque le tiers revendeur participe à la violation d’une interdiction de revente hors réseau, les dispositions de l’article L 442-6 I, 6° du Code de commerce est applicable : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : 6. De participer directement ou indirectement à la violation de l’interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence ». Pour prouver cette tierce complicité de la violation du réseau de distribution, le titulaire du réseau doit prouver (i) une clause interdisant la revente hors réseau dans le contrat de distribution sélective, et (ii) la connaissance qu’avait le tiers revendeur de cette clause. Ainsi, l’approvisionnement auprès d’un distributeur sélectionné, en toute connaissance de cause, suffit à établir son illicéité.
En l’espèce, la société FIAT FRANCE et la société Normande d’importation automobile (SNIA) ont signé sept contrats de distribution de divers véhicules neufs avec effet à compter du 1er octobre 2003. Le 27 septembre 2006, la société FIAT a notifié à la société SNIA la résiliation des sept contrats de distribution de véhicules neufs, avec effet au terme d’un préavis de deux ans. Le 30 mars 2010, la société SNIA et sa société mère, la société GUEZ et FILS ont assigné la société FIAT devant le Tribunal de commerce de Paris en responsabilité pour la rupture abusive du contrat. Par jugement du 24 octobre 2012, le Tribunal de commerce de Paris les a déboutés en considérant régulière la résiliation par la société FIAT et les a condamné à verser la somme de 5000 euros chacune à la société FIAT au titre de l’article 700 du CPC. Les sociétés SNIA et GUEZ et FILS ont interjeté appel en soutenant que la société FIAT n’avait pas respecté l’obligation contractuelle de motivation de la résiliation de chaque contrat. En réponse, la société FIAT formait une demande reconventionnelle en concurrence déloyale, en reprochant à la société SNIA d’avoir promu, par le biais de publicités postérieures à la résiliation des contrats, la vente de véhicules neufs des marques du groupe FIAT et de se rattacher illicitement au réseau de distribution de vente de véhicules FIAT.
Par arrêt du 4 février 2015, la cour d’appel de Paris a retenu la responsabilité de la société SNIA sur le fondement de l’article L 442-6 I, 6° du Code de commerce. Selon la Cour, dès lors que la société SNIA n’avait pas communiqué l’identité et les coordonnées de ses fournisseurs de véhicules neufs à la société FIAT malgré une mise en demeure adressée par cette dernière, l’illicéité de sa revente des véhicules neufs des marques FIAT hors réseau était établie et elle devait indemniser le préjudice subi par le titulaire du réseau au titre de la concurrence déloyale.