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Validité d’une clause limitative de responsabilité insérée dans un contrat : notion de manquement à l’obligation essentielle

Com., 29 juin 2010, n° 09-11841 Sté Faurecia c/ Sté Oracle

Le contrat ayant force obligatoire, son inexécution appelle normalement une sanction, à moins que l’exécution n’ait été rendue impossible par la force majeure. L’article 1147 du Code civil dispose que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Toutefois, en pratique, il est courant d’insérer dans un contrat une clause limitant ou exonérant la responsabilité en cas de l’inexécution d’une obligation contractuelle. Tel est le cas d’un parking qui précise qu’il décline sa responsabilité en cas de vol des véhicules entreposés ou d’un teinturier qui précise que sa responsabilité n’est pas engagée en cas de perte des boutons et garnitures. Dans des conditions générales de vente, on trouve souvent des clauses qui fixent un plafond de responsabilité : « en cas d’inexécution par la société … de ses obligations nées du présent contrat, sa responsabilité sera limitée au préjudice prévisible dans un plafond de … euros ».

Les clauses limitatives de responsabilité sont valables et lient les contractants à condition qu’elles aient été connues et acceptés par la partie à laquelle elles sont opposées.

Dans les affaires Chronopost concernant l’inexécution par la société Chronopost de son engagement contractuel d’assurer la livraison le lendemain avant midi, la Cour de cassation qui avait initialement écarté l’application des clauses limitatives de réparation en cas de manquement à une obligation essentielle (Com. 22 octobre 1996, n°93-18632) a établi, depuis 2005, le principe selon lequel la clause limitative de responsabilité ne sera mise en échec que si le créancier établit le dol ou la faute lourde du débiteur, même en cas de l’exécution d’une obligation essentielle du contrat (Ch. mixte, 22 avril 2005  n°02-18326; Com. 21 février 2006 n°04-20139). Dans ces arrêts, la Cour de cassation a considéré que seule la faute lourde pouvait mettre en échec la clause limitative de responsabilité prévue au contrat type de messagerie, établi par le décret de 1988. Ainsi, malgré que la célérité soit une obligation essentielle de la société Chronopost, la responsabilité en cas de l’inexécution de cette obligation est limitée au frais d’envoi, sauf si le demandeur d’indemnisation prouve que la société Chronopost a commis un dol – une faute intentionnelle – ou une faute lourde – une négligence d’une extrême gravité.

L’arrêt commenté apporte plus de précision sur la validité d’une clause limitative de responsabilité prévue dans des contrats ordinaires en cas de l’inexécution d’une obligation essentielle.

En l’espèce, la société Oracle, une société américaine de services informatiques, n’a pas livré la version définitive du logiciel promis à son cocontractant, la société Faurecia, mais s’est contentée de livrer une version temporaire, qui a connu de graves difficultés. La société Faurecia a assigné la société Oracle en nullité pour dol ou résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties.

Le 13 février 2007, la Cour de cassation a cassé un arrêt de la cour d’appel qui avait limité la condamnation de la société Oracle par application d’une clause limitative de responsabilité prévue au contrat, au motif que l’absence de livraison constituait un manquement à une obligation essentielle de nature à faire échec à l’application de la clause limitative de réparation. Cette solution, qui revient à la jurisprudence Chronopost de 1996 mais va plus loin en jugeant que le manquement à l’obligation essentielle entraînait systématiquement l’inapplication d’une telle clause, a été vigoureusement critiquée par la doctrine.

La cour d’appel de renvoi a donc résisté, et a maintenu la solution adoptée par la première cour d’appel en 2005 en faisant application de la clause limitative de responsabilité.

Par un arrêt du 29 juin 2010, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, en considérant que « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur », et que si la société Oracle avait manqué à une obligation essentielle du contrat, le montant de l’indemnisation négocié aux termes d’une clause stipulant que les prix convenus reflètent la répartition du risque et la limitation de responsabilité qui en résultait, n’était pas dérisoire. La Cour a jugé que cette clause limitative de réparation, qui ne vidait pas de toute substance l’obligation essentielle souscrite par la société Oracle, était applicable. Elle a ajouté que « la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ».

Ainsi, il est désormais établi que la clause limitative de responsabilité ne peut être écartée que dans la mesure où elle contredit la portée de l’obligation essentielle du et vide ainsi le contrat de toute sa substance.

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