
Van Cleef & Arpels c/Louis Vuitton – parasitisme économique non constitué
Le parasitisme en droit commercial désigne l’attitude d’une entreprise qui usurpe la notoriété ou les techniques qu’emploie une entreprise de renom. Il peut s’agir soit de la concurrence parasitaire qui se rattache directement à la concurrence déloyale, soit des agissements parasitaires en l’absence d’un rapport concurrentiel.
Le parasitisme se manifeste toujours par l’exploitation du travail, des idées, des investissements, de la publicité ou de la notoriété d’autrui, et vise à utiliser, pour son propre profit, le succès commercial et industriel d’un autre.
Pour obtenir l’interdiction des activités économiques constitutives du parasitisme et l’indemnisation du préjudice subi, l’entreprise victime du parasitisme doit démontrer la faute de l’auteur du parasitisme et le lien de causalité entre la faute et le préjudice subi, en application du droit commun de la responsabilité civile (articles 1240 et 1241 du Code civil).
Dans l’affaire Van Cleef & Arpels c/ Louis Vuitton, la Cour de cassation a considéré que le parasitisme économique n’est pas constitué.
Les faits sont les suivants :
Van Cleef & Arpels, qui appartient aujourd’hui aux sociétés Richemont International et Société Cartier (ci-après les sociétés du groupe Richemont), commercialise depuis 1968 une gamme de bijoux de luxe dénommée « Alhambra », ayant pour motif un trèfle quadrilobé en pierre dure semi-précieuse entouré d’un contour en métal précieux perlé ou lisse, qui est devenue iconique.
Louis Vuitton commercialise depuis 2006 une gamme de bijoux intitulée « Monogram » puis « Blossom », caractérisée par un motif de trèfle quadrilobé comportant un élément central et entouré d’un cercle. Celui-ci est notamment décliné depuis 2015 dans la collection nommée « Color Blossom », dans laquelle le trèfle est en pierre dure semi-précieuse entourée d’un contour en métal précieux.
Entre 2016 et 2017, reprochant à Louis Vuitton des actes de concurrence parasitaire à raison du lancement de la collection « Color Blossom », les sociétés du groupe Richemont l’ont mis en demeure puis assigné en réparation de leurs préjudices.
En première instance, le Tribunal de commerce a condamné Louis Vuitton pour actes parasitaires par son jugement du 4 octobre 2021, en considérant qu’il y avait plusieurs ressemblances visuelles entre deux modèles. Le Tribunal a condamné Louis Vuitton à payer 34 400 euros à titre de dommages et intérêts à la société Cartier, et 180 000 euros à titre de dommages et intérêts à la société Richemont International, outre l’interdiction de la vente du modèle « color blossom » et l’arrêt de leur fabrication.
Louis Vuitton a relevé appel de ce jugement.
Par un arrêt du 23 juin 2023, la Cour d’appel de Paris a infirmé ce jugement au motif suivant :
« (…) Il résulte des éléments fournis au débat et notamment des échanges précités que les sociétés Vuitton ont fait évoluer leurs lignes de bijoux depuis leurs lancements vers une ligne utilisant des pierres semi-précieuses pour représenter la fleur insérée dans le cercle, telles les montres Tambour Vuitton qui ont fait l’objet du courriel de 2013 et de la proposition d’accord de la société Van Cleef & Arpels puis la collection Color Blossom objet du présent litige.
Cette forme correspond bien à la forme de fleur quadrilobée présente sur la toile iconique Vuitton, la fleur qui comporte un cœur étant bien enchâssée dans un cercle, et non détourée.
Ainsi que le soutiennent les sociétés Vuitton, bien que la fleur quadrilobée du bijou Color Blossom apparaisse être pour un modèle de dimension identique à celle du bijou Van Cleef et Arpels, celui-ci ne reprend pas l’ensemble des caractéristiques du modèle iconique des intimées en ce que la forme quadrilobée n’est pas détourée, ne comporte pas de sertissage perlé, ni de caractère double face, la pierre n’est pas lisse et comporte un élément central. Il sera relevé que, comme le démontrent les sociétés Vuitton, l’utilisation de la forme quadrilobée (quatre arcs de cercle égaux disposés autour d’un centre de symétrie composant le quadrilobe), est un élément connu et usuel dans le domaine des arts appliqués et particulièrement de la joaillerie (pièce 9 LV), et que l’usage des pierres précieuses ou semi précieuses de couleur serties de métal précieux apparaissent s’inscrire dans les tendances de la mode comme le démontrent les collections Chopard (pièce 21 LV), Buccelati (collection Opera Color pièce 20-3 LV) ou, plus récente, Morgane Bello (pièces 19 et 61 LV).
Aussi, il ressort de ce qui précède que les sociétés Vuitton se sont d’abord inspirées pour leur modèle Color Blossom de la forme de la fleur quadrilobée de la toile iconique Vuitton pour l’adapter aux tendances du moment et la seule reprise de la forme quadrilobée, non ajourée en pierre semi précieuse cerclé par un contour en métal précieux ne caractérise nullement une volonté des sociétés Louis Vuitton de s’inscrire dans le sillage du modèle emblématique ci-dessus rappelé des intimées. »
« Pour ce qui concerne la pratique tarifaire des sociétés Vuitton, les intimées font valoir que celles-ci ont dans un premier temps fixé la grille de leurs prix des 31 bijoux critiqués en retenant systématiquement des prix légèrement inférieurs à ceux de la collection Alhambra puis les ont augmentés pour réduire l’écart tout en restant en-dessous.
Il ressort toutefois des éléments au débat et notamment des tableaux de comparaisons de prix fournis par les parties, que la politique de prix des sociétés Vuitton pour la collection Color Blossom n’est pas établie en fonction des prix de la collection Alhambra, les écarts de prix apparaissant hétérogènes, ceux-ci pouvant être largement inférieurs, identiques ou supérieurs selon les produits, et non inférieurs d’environ 17 % comme l’a retenu le tribunal. »
« Les sociétés Risa et Société Cartier échouent donc à établir que les sociétés Vuitton ont cherché, sans bourse délier, à tirer profit de la valeur économique individualisée que constitue le modèle et la collection Alhambra, fruits de leurs investissements, ainsi que de la notoriété y attachée. »
Les sociétés du groupe Richemont ont pourvu en cassation, en soutenant notamment que :
« Le parasitisme, qui consiste pour un opérateur économique à se placer dans le sillage d’une entreprise en profitant indûment de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis, résulte d’un ensemble d’éléments qui doivent être appréhendés dans leur globalité et non isolément les uns des autres.
En l’espèce, l’accusation de parasitisme était fondée sur un ensemble de six agissements consistant en (1) la captation des spécificités du motif joaillier quadrilobé Alhambra », et ce sans la moindre nécessité technique, (2) la captation de la structure particulière de la collection « Alhambra » pour constituer un ensemble cohérent de trente-et-un bijoux, (3) la reprise des mêmes couleurs de pierres semi-précieuses, (4) la déclinaison de la gamme de bijoux litigieuse dans trois tailles de motifs semblable à celle de la collection « Alhambra », (5) la détermination d’une grille de prix par référence à celle de la collection « Alhambra » et (6) la captation des axes de communication en rupture avec les codes habituels de la maison Louis Vuitton. »
« La concurrence déloyale ou parasitaire s’apprécie au regard de l’impression d’ensemble qui s’infère du rapprochement des éléments à comparer et de leurs ressemblances, envisagées du point de vue d’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, et non au regard de leurs différences. »
Par arrêt du 5 mars 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi des sociétés du groupe Richemont.
Pour cela, la Haute Cour a défini le parasitisme économique comme suit :
– Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
– Le parasitisme résulte d’un ensemble d’éléments appréhendés dans leur globalité, indépendamment de tout risque de confusion.
partant, elle a considéré que le parasitisme économique n’est pas constitué en l’espèce : « les sociétés Louis Vuitton se sont inspirées de la fleur quadrilobée de leur toile monogrammée, et non du modèle « Alhambra », et que c’est pour s’inscrire dans la tendance du moment, ce que la société du groupe Richemond ne pouvait interdire aux autres joailliers, qu’elles ont utilisé, pour la collection « Color Blossom », des pierres semi-précieuses cerclées par un contour en métal précieux. La cour d’appel, qui, après avoir examiné séparément chacun des éléments invoqués par les sociétés du groupe Richemont, les a appréhendés dans leur globalité et qui n’a pas méconnu les ressemblances entre les deux collections, a pu déduire que les sociétés Vuitton n’avaient pas eu la volonté de se placer dans le sillage des sociétés du groupe Richemont. »